Page:Langlois - Histoire du moyen âge, 1901.djvu/511

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et Martin de Canale, le Florentin Brunet Latin l’employaient de préférence à leurs idiomes respectifs, des chanteurs populaires amassaient le peuple autour d’eux, dans les rues et sur les places des villes lombardes, vénitiennes et romagnoles, en lui chantant des histoires en la langue de France, comme dit l’un d’eux. Grâce au génie de Dante, l’Italie trouva moyen de sortir de l’anarchie des dialectes locaux et de se créer une langue littéraire admirable ; mais ce curieux phénomène atteste d’une manière éclatante la puissance de notre vieille littérature.

Ce ne furent pas seulement les nations romanes qui devinrent pour ainsi dire des succursales de la grande école française. Je ne mentionne que pour mémoire les imitations grecques de nos romans de la Table Ronde ; mais la magnifique littérature poétique de l’Allemagne, à la fin du XIIe et au commencement du XIIIe siècle, n’est que le reflet de la nôtre. Les Minnesinger ont transporté dans leur langue les formes et l’esprit de la poésie lyrique française, fille elle-même de la provençale ; il faut se hâter d’ajouter que, sous leurs mains, surtout celles de Walther de la Vogelweide, le plus grand poète de l’Allemagne ancienne, cette poésie s’est développée avec une originalité, une grâce et une profondeur sans égales chez nous. Nos chansons de geste ont été traduites ou imitées sans relâche en Allemagne et dans les Pays-Bas, ainsi que nos poèmes du cycle breton, pendant toute cette période que les historiens de la littérature allemande qualifient de classique : Lambrecht, Conrad, Henri de Veldeke, Herbert de Fritzlar, Hartmann d’Aue, Gotfrid de Strasbourg, Wolfram d’Eschenbach, Ulrich de Zazikhoven, Wirnt de Gravenberg, Conrad de Wurzbourg et bien d’autres sont les imitateurs plus ou moins fidèles des Albéric, des Turold, des Chrétien de Troies, des Benoît de Sainte-More, des Guillaume de Bapaume, des Renaud de Beaujeu. On peut dire qu’il y avait alors, à côté de la littérature française en français, une littérature française en allemand et une autre en néerlandais.

Il y en avait bien une en norvégien. Oui, cette terre lointaine d’où étaient parties, aux temps carolingiens, les désolantes incursions normandes, cette patrie des vieux chants mythiques de l’Edda, chrétienne maintenant et civilisée, accueillait avec trans-