Page:Langlois - Histoire du moyen âge, 1901.djvu/555

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brise une partie de la mâchoire. Arrêté sur-le-champ, il est cité pour ce délit devant le tribunal du roi, et, après avoir attendu son audience pendant fort longtemps, il expose ainsi sa défense : « Seigneur, vous êtes mon roi terrestre, et je suis votre homme-lige ; si j’entendais quelqu’un vous dénigrer ou vous dire des sottises, je ne pourrais me contenir et je vengerais votre injure. Eh bien ! celui que j’ai frappé outrageait de même mon roi céleste : comment serais-je resté impassible ? » Et le prince qui n’aimait pas les blasphémateurs (ce trait se rapporte peut-être à saint Louis) le laissa aller en liberté.

Il n’était pas rare de voir des membres de la bourgeoisie, sortis d’une condition infime, s’élever aux plus hauts degrés de la fortune et même de la science. Tout citadin rêvait, comme aujourd’hui, pour son fils l’opulence ou la renommée ; l’immobilité des rangs sociaux n’était plus si rigoureuse. Le chef d’une puissante famille de cette classe, Jean Poinlane, nous est montré par Pierre de Limoges commençant sa carrière dans la dernière indigence : il courait les rues en colportant de la viande dans un grand plat (perapside), et n’avait pas d’autre gagne-pain ; c’était, selon toute apparence, un apprenti boucher. Devenu plus tard un des plus riches personnages de la capitale, il fit enchâsser ce vieux plat dans une monture d’or et d’argent, en souvenir de sa pauvreté première ; il le gardait comme une relique et se le faisait présenter les jours de bonne fête. Son fils était, vers le milieu du XIIIe siècle, un docteur célèbre dans l’Université, lié avec Pierre de Limoges et connu sous le nom de Jean de Paris ; il embrassa plus tard l’ordre de saint Dominique.

Le principal instrument de la richesse des bourgeois, c’était le négoce. L’industrie était fort limitée, la spéculation dans l’enfance ; et pourtant l’on retirait du commerce des avantages considérables. Il est vrai de dire que ce n’était pas toujours sans avoir recours à la fraude : les petits marchands comme les gros employaient bien des stratagèmes que l’on croit généralement d’invention plus moderne. La morale de la chaire est sans pitié sur ce point, et elle a vraiment de quoi choisir parmi les ruses de métier dignes de flétrissure. Les aubergistes et les cabaretiers mêlent en cachette de l’eau à leur vin, ou du mau-