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les muses d’état.

Qui descendez du Pinde en rêvant d’un héros…
Allez chez l’inspecteur prendre vos numéros,
Ô Muses ! quels honneurs, sans compter le salaire,
L’État vous garderait, — un État populaire, —
Si l’on s’était rangé ! si l’on avait voulu
Aider discrètement le pouvoir absolu !
Si la plume, en vos doigts, marchant à la baguette,
Chargeait en douze temps comme la baïonnette ;
Si vos lyres, d’accord avec les tympanons,
Répétaient à l’envi l’hosanna des canons ;
Si le penseur docile et toujours sous le charme,
Le critique, au besoin, remplaçaient le gendarme ;
Et l’œil, toujours ouvert aux merveilles du temps,
D’un crayon venimeux notaient les mécontents.


Ô grand siècle ! ô bonheur dont nous ferons l’épreuve !
Un jour viendra, ce jour rêvé par Sainte-Beuve,
Où les Muses d’État, nous tenant par la main,
Enrégimenteront chez nous l’esprit humain.
Selon le numéro, selon l’arme et le grade.
Nous verrons les beaux-arts défiler la parade.
Tels, conscrits aujourd’hui, marchant les pieds déchaux,
Qui seront colonels, peut-être maréchaux,
Suivant qu’ils useront, dans le panégyrique,
De prose tempérée ou de prose lyrique.


On bat déjà l’appel sur les doctes hauteurs :
J’entends la voix sucrée et l’or des recruteurs.
Tout s’émeut dans l’azur : un bataillon de cygnes
Se forme en éclaireurs, vedettes et consignes ;
Pégase, tout bridé, piaffe dans le décor,
En caparaçon vert semé d’abeilles d’or ;