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les muses d’état.

Donc, nantis largement de l’or qui vous allèche,
Accourus en sabots, repartez en calèche.
Et si, du haut du char qui porte vos splendeurs,
Vous rencontrez là-bas quelqu’un de ces boudeurs,
De ces gens obstinés à garder leur cocarde,
L’un dans son âpre exil, l’autre dans sa mansarde ;
Et cet autre moins fier, mais non moins ulcéré,
Qu’enchaîne à ses outils quelque devoir sacré….
D’un ton facétieux, célébrant vos bamboches,
Vous lui ferez la nique en frappant sur vos poches.


— Reposons-nous, amis, dans un cher souvenir.
Fuyons dans le passé, fuyons dans l’avenir.
Voici l’ombre et le soir ! Rappelez-vous l’aurore
Qui nous éveilla tous, nous qui chantons encore,
Quand notre âme embrassait dans sa virginité,
Et jeune poésie et jeune liberté.
Comme nous écoutions aux portes du cénacle !
Comme un lambeau de vers nous semblait un oracle !
Comme nous adorions ces demi-dieux rivaux,
Dont la voix nous ouvrait tant de mondes nouveaux !
C’était l’heure où l’on croit, où l’on aime sans trêves ;
Pour la France et pour nous, que d’espoirs, que de rêves !
Comme nous marchions fiers et portant au grand jour
Ces nobles amitiés, belles comme l’amour,
Et ces belles amours si pures, si parfaites,
Que les anges du ciel enviaient aux poètes ! —
Rentrons dans le présent : d’obliques délateurs,
Au coin des bons journaux surveillent les auteurs.
Tout prêts à souligner, quand leur zèle s’alarme,
Le mot qui peut donner quelque prise au gendarme.
Il faut être content s’il pleut, s’il fait soleil,