Page:Laprade - Les Voix du silence, 1865.djvu/234

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Prenez-le donc ce mot, dans son inanité,
Et tâchez d’en nourrir la triste humanité,
Servez au lieu du Christ, au lieu du pain des anges,
Servez aux affamés vos formules étranges.
A qui pleure une mère, un enfant, une sœur,
Offrez ce Dieu sans voix, sans regard et sans cœur ;
Donnez-le pour richesse à ces pauvres chaumières,
A nos temps assombris donnez-le pour lumières ;
Donnez-le pour espoir aux veuves, aux mourants,
Pour seul juge aux vaincus, pour seul frein aux tyrans.
Tâchez que l’univers un moment le proclame,
Ce Dieu que chacun fait et défait dans son âme,
Qui pense avec Socrate et meurt avec Caton,
Mais qui rugit aussi dans le tigre et Néron ;
Qui chez un Attila se retrouve et s’adore ;
Qui, couvé dans la brute, en Marat vient éclore ;
Qui siffle avec le fouet du planteur insolent,
Et, dans la main du Czar, s’allonge en knout sanglant.