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PIERRE LASSERRE

mais comme point de vue suprême, le point de vue des droits individuels. Une telle philosophie présuppose une fausse notion de l’homme, car elle méconnaît cette vérité évidente : que dans ce qui fait la valeur intellectuelle et morale de l’individu, lui-même n’est que pour une part ; l’héritage national et religieux que le milieu et l’éducation lui ont transmis y est pour une part non moins essentielle. En faisant abstraction de cette dépendance profonde et vitale, on se flatte de grandir l’individu, de relever la dignité de l’individu, de le grandir, d’ouvrir à sa libre expansion un plus vaste espace ; mais toute pratique politique ou pédagogique inspirée de cette conception contre nature ne tend et n’aboutit en réalité qu’à l’appauvrir, à le rapetisser, à le désorienter, à le désemparer. Là est la source de toute anarchie. Proclamée au nom de l’individu, l’anarchie a sa dernière conséquence dans la ruine de l’individualité et l’abaissement du type humain. On n’est pas anarchiste parce qu’on s’attaque à une règle, à une autorité, à une discipline, à une tradition particulière. On l’est quand on s’y attaque dans un esprit de dédain, d’ironie ou d’amertume contre tout ce qui est règle, autorité et discipline en général.