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PIERRE LASSERRE

une civilisation est, avant tout, une culture, une culture d’hommes.

Comment donc naît et se développe cette fleur de toute vraie civilisation : des mœurs ?


L’homme est fait d’une multiplicité de tendances, d’affections, d’impulsions, de mobiles, puissances discordantes qui le déchireraient bien vite et le feraient périr de son propre désordre, s’il ne se les représentait nettement dans des rapports de subordination et de dépendance qui assignent à chacune d’elles son rang, sa dignité, sa valeur. Il faut qu’il se soit assez discipliné, rendu assez maître de lui-même pour être assuré que l’aveugle mouvement de ses sensibilités et de ses instincts ne viendra pas, à tout instant, briser la ferme ligne d’une tenue dont la vue du barbare, de l’inéduqué, suffirait à lui faire connaître le haut prix. L’homme moral, c’est donc l’homme discipliné, châtié, maître de soi.

Ces données peuvent sembler assez banales et même indécises. On en saisira tout le sens si nous ajoutons que Nietzsche n’accorde presque aucune part à la « nature » dans la moralité. Pour lui, toute espèce de moralité est, non seulement dans ses principes généraux, mais surtout dans ses particularités délicates et vraiment distinc-