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PIERRE LASSERRE

l’objet d’une foi si prépondérante que les croyances théologiques et les traditions légendaires du peuple se façonnent à son image et selon exigences. De là l’invention de ces généalogies qui, en faisant descendre les princes des dieux, divinisent les hautes mœurs elles-mêmes. De là, l’imagination de ces paradis où seules les vertus qui font le chef auront leur récompense, les autres n’étant sans doute que vertus viles. Nous verrons que la morale des esclaves a, elle aussi, ses au-delà… Mais on sent, dès ici, la différence profonde de signification qui existe entre un Walhalla, un paradis scandinave de guerriers, et un paradis juif de misérable. Les cieux des peuples maîtres sont une exaltation de la terre. Ceux des peuples esclaves ont été conçus en haine et en horreur de la terre.

Une morale de barbares est tournée tout entière vers des fins de combat et de conquête. Il est des peuples qui ne sont jamais sortis de l’état barbare, soit que les circonstances ne le leur aient pas permis, soit qu’il y eût dans leur forme propre d’énergie quelque chose de trop épais et de trop court, comme dans le cou d’un taureau. D’autres, plus heureux et mieux doués, ont pu s’épanouir, se donner — parfois sans que la guerre cessât de les harceler — des siècles de jouissance, exercer leur force dans tous les jeux de la civilisation.