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la débâcle

Ô soleil, tu n’es pas créé pour le sommeil.
Laisse-nous de longs jours sous ton regard vermeil.
Chasse loin, devant toi, cette nue au flanc sombre
Qui monte à l’horizon comme un spectre dans l’ombre !
Et toi ne souffle pas, fraîche brise du soir.
Si les flots à ta voix venaient à s’émouvoir,
Si ton souffle agitait cette nappe mouvante,
Ce lac qui se fait mer… le penser m’épouvante…
Quels seraient nos malheurs ! Quel serait notre deuil !
Ah ! nos champs deviendraient un immense cercueil !

* * *

Le soleil, dérobé par un épais nuage,
A laissé, sur les eaux qui couvrent le rivage,
S’étendre, par degrés, de lumineux sillons.
Dans les cieux grisonnants quelques pâles rayons
S’ouvrent en éventail et glissent de la nue.
Ils présagent qu’un vent sur la campagne nue
Va bientôt s’élever, violent, furieux.
Le front des paysans devient plus soucieux ;
Leur cœur, saisi d’effroi, bat avec violence.
Les époux, consternés, échangent en silence
Un regard où la crainte est mêlée à l’amour.
Les mères, les enfants s’en viennent, tour à tour,