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tonkourou

Il regarde longtemps, ici le cap austère,
Là-bas la côte douce avec ses grands bosquets
Où la lune a jeté, comme d’ardents bouquets,
Ses gerbes de rayons aux blanches maisonnettes,

Au sein des flots muets, fortes, plaintives, nettes
S’élèvent des clameurs. Ses yeux de tous côtés
Cherchent d’où sont partis ces appels répétés.
Près du chenal profond, dans la lumière vague,
Il aperçoit des bras qui montent de la vague.
Des hommes vont périr. Empressé, généreux,
Il pousse comme un trait sa nacelle vers eux.

Quelle tentation et quelle idée infâme.
Comme une ombre passa tout à coup dans son âme,
Alors qu’il reconnut ses lâches ennemis ?
Ruzard et Tonkourou, dans l’espoir raffermis,
Soulevaient sur les eaux leurs têtes basanées,
Et ces têtes, de loin, semblaient guillotinées.
Ils agitaient leurs bras ruisselants, engourdis.
Léon n’avançait plus.
— Approche, ô Léon ! dis
Que tu vas nous sauver, que ton âme pardonne…
Oh ! viens donc ! Par l’enfer ! approche encore ! Donne,
Donne-nous donc la main pour nous aider un peu !…
Ah ! sauve-nous, Léon, pour l’amour du bon Dieu !