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tonkourou


— Racontez-moi, dit-il, ô mon père, comment
Le ciel voue a conduit dans la sainte carrière.
Qui sait ? pour ma jeunesse ardente, aventurière,
Ce récit-là peut être un haut enseignement.

Le prêtre, l’œil perdu dans un éloignement,
Répondit :
— Viens ici, sur ce siège de mousse.

Puis il continua :
— Le sentiment s’émousse ;
Autrefois je pleurais en rappelant des jours
Tout brillants de jeunesse et tout remplis d’amours ;
Mais, quand le corps vieilli, l’âme, mon fils, se glace,
Et les chauds souvenirs n’y trouvent point de place.
Le bonheur qu’on devra ne regretter jamais
Est le seul vrai bonheur, sois-en certain.
J’aimais
Et j’étais entraîné dans les plaisirs du monde ;
J’allais tourbillonnant comme une épave immonde
Sur des flots attirés par un gouffre sans fond.
J’avais pour une femme un amour bien profond,
Un amour où notre âme à jamais se sent prise.
Je chantais mon bonheur, comme un homme que grise
La coupe débordant de nos vins généreux.