Page:Le Bon - Lois psychologiques de l’évolution des peuples.djvu/36

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peuples, alors que celle de l’intelligence se montre souvent bien faible. Les Romains de la décadence possédaient une intelligence autrement raffinée que celle de leurs rudes ancêtres, mais ils avaient perdu les qualités de caractère, la persévérance, l’énergie, l’invincible ténacité, l’aptitude à se sacrifier pour un idéal, l’inviolable respect des lois, qui avaient fait la grandeur de leurs aieux. C’est par le caractère que 60.000 Anglais tiennent sous le joug 250 millions d’Hindoux, dont beaucoup sont au moins leurs égaux par l’intelligence, et dont quelques-uns les dépassent immensément par les goûts artistiques et la profondeur des vues philosophiques. C’est par le caractère qu’ils sont à la tête du plus gigantesque empire colonial qu’ait connu l’histoire. C’est au caractère et non à l’intelligence qu’est due la solidité des sociétés, des institutions et des empires. Le caractère, c’est ce qui permet aux peuples de sentir et d’agir. Ils n’ont jamais beaucoup gagné à vouloir trop raisonner et trop penser.[1]

De la constitution mentale des races découle leur conception du monde et de la vie, et par conséquent leur conduite. Nous en fournirons bientôt des exemples. Impressionné d’une certaine façon par les choses extérieures, l’individu sent, pense et agit d’une façon fort différente de celles dont sentiront, penseront et agiront des individus qui possèdent une constitution mentale différente. Il en résulte que les constitutions mentales, construites sur des types très divers, ne sauraient arriver à se pénétrer. Les luttes séculaires des

  1. L’extrême faiblesse des œuvres des psychologues de profession et leur peu d’intérêt pratique tient surtout à ce qu’ils se sont confinés exclusivement dans l’étude de l’intelligence et ont laissé à peu près entièrement de côté celle du caractère. Je ne vois guère que M. Ribot, dans son beau livre sur la Logique des sentiments, qui ait marqué l’importance du caractère et constaté qu il forme la véritable base de la constitution mentale. «L’intelligence, écrit-il avec raison, n’est qu’une forme accessoire de l’évolution mentale. Le type fondamental est le caractère. L’intelligence a plutôt pour effet de le détruire quand elle est trop développée». C’est à l’étude du caractère qu’il faudra s’attacher comme j’essaie de le montrer ici, quand on voudra décrire la psychologie comparée des peuples. Qu’une science aussi importante, puisque l’histoire et la politique en découle, n’ait jamais été l’objet d’une étude sérieuse, c’est là ce qu’on comprendrait difficilement si on ne savait qu’elle ne peut s’acquérir ni dans les laboratoires, ni dans les livres, mais seulement par de longs voyages. Rien ne fait présager d’ailleurs qu’elle soit bientôt abordée par les psychologues de profession. Ils abandonnent de plus en plus aujourd’hui ce qui fut jadis leur domaine, pour se confiner dans des recherches d’anatomie et de physiologie.