Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/227

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sourit avec amertume et gagna la porte. Là, il fit demi-tour à nouveau.

— Vous ne voulez pas ? Sacré tas d’hypocrites. Non ? Qu’est-ce que je vous ai fait ? J’vous ai-t-y battus ? J’vous ai-t-y fait mal ? J’vous… Vous voulez pas boire ?… Non !… Eh bien, mourez donc de soif tous tant que vous êtes ! Y en a pas un de vous qu’ait le cœur d’une punaise. Y a pas plus bas que vous ! Travaillez et crevez donc !

Il sortit, tapant la porte avec tant de violence que le vieil oiseau du Board of Trade faillit tomber de son perchoir.

— Il est fou, dit Archie.

— Non, non, il est saoul ! insista Belfast qui titubait, pochard attendri.

Le capitaine Allistoun souriait paisiblement devant la table nette.

Dehors, sur Tower Hill[1], leurs paupières battirent, ils hésitèrent gauchement, comme aveuglés par la qualité nouvelle de cette lumière tamisée, comme intimidés par la vue de tant d’hommes ; et eux qui pouvaient s’entendre dans le hurlement des tempêtes, on les eût dit assourdis et troublés par le sourd grondement de la terre laborieuse.

— Au Cheval-Noir ! Au Cheval-Noir ! crièrent des voix. Faut prendre un verre ensemble avant de se quitter.

Ils traversèrent la route, se tenant l’un à l’autre. Seuls, Belfast et Charley s’éloignèrent isolément. En passant, je vis une femme bouffie, rougeaude, en châle gris, sous des cheveux poudreux et floches se jeter au cou de Charley. C’était sa mère. Elle l’inondait de larmes :

— O mon gars ! Mon gars !

— Lâche-moi, dit Charley. Lâche, mère.

  1. L’éminence de la cité de Londres où s’élève la Tour.