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Page:Le Sylphe - Poésies des poètes du Dauphiné, tome 1, 1887.djvu/216

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l8 LE SYLPHE vres enfants, par la plus tendre des mères, aux épaves jetées aux créanciers. Médor était au pied de ce lit d'innocence. Le cortège des songes défila lentement, bien lentement, cette nuit de décembre, à l'heure où l'enfant Jésus naquit à Bethléem. C'étaient, d'abord, les petits soldats de plomb rangés en ba taille, les canons braqués sur l'infanterie de la plaine ; puis, venait le ménage avec assiettes en faïence, nappes, serviettes et les mille ustensiles de cuisine; puis, c'était, pour Paul, un joli petit livre à tranches dorées ; puis, pour Eglantine, une grosse poupée à arti culations; puis, des sacs de bonbons; — Medor, le chien fidèle, peut-être ne serait pas oublié et aurait un beau collier, puis, puis...

C'est le reveil. Médor, le fidèle Médor, garde cette couche d'innocents. Lentement, bien lentement, Paul et Eglantine ouvrent les yeux, se regardent, s'embrassent — oh! chers petits enfants! — et glis sent hors de leur couchette. ... Et les pauvres petits sabots sont vides... La mère est morte dans la nuit !

Décembre ! Et les pauvres petits, qui jugent l'étendue de leur malheur par l'absence des soldats de plomb, des canons, du ménage, du petit livre et de la poupée, les pauvres petits poussent un sanglot su prême et, glacés, tombent, enlacés dans une douce étreinte, à côté de Médor, gardien de la ferme, toujours fidèle, dans les jours d'adversité comme aux temps heureux. Lui, il n'a pas mangé, hier! Et résigné, comme toujours il l'a été, ayant aussi, sur le beau collier, perdu toute espérance, il se couche aux pieds de ses deux jeunes maîtres... et attend.

Et le jour qui vient de poindre n'entendra plus les aboiements du chien et les rires joyeux de Paul et d'Eglantine ; il n'entendra plus le bruit de la vaisselle rincée par la fermière; il n'entendra plus le glou-glou des dindons; il n'entendra plus le piétinement impatient des chevaux; il n'entendra plus les gais refrains des maîtres et domestiques allant aux champs... Ce jour-là, qui n'entendra rien, verra s'ouvrir quatre tombes nouvelles ! Adrien de la ROCHE.