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Page:Le Sylphe - Poésies des poètes du Dauphiné, tome 1, 1887.djvu/232

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34 LE SYLPHE La mitrailleuse mitraille; l'obus éclate; les clairons excitent à la boucherie. — On taille, on piétine des morts et des mourants. Rien n'empêche d'arriver à une ligne humaine que l'on rejoint bientôt, après quelques minutes d'apaisement. De nouveau sifflent les balles, et la mêlée se débat dans la suprême agonie du vainqueur tombant épuisé sur le vaincu. Et bientôt, il ne reste des régiments que des carrés invisibles sous les brouillards de poudre. Peu à peu la fusillade s'éteint. Puis le silence. . . alors que le drapeau couvre de ses lambeaux le corps inerte d'un enfant de la France. Cette forme humaine tient en ses doigts rigides les franges du drapeau qu'il a baisé à son agonie. Sa dernière pensée a-t-elle donc été pour la Patrie ? IV Et cependant une ombre glisse dans cet amas de cadavres, pauvres enfants inconnus que la France a pleuré. Cette ombre est apparue, se dessinant en noir sur le sombre de la campagne... puis elle s'est fantastiquement dissipée. L'ombre est reparue. Elle s'est évanouie de nouveau. Elle arrive enfin près du drapeau mutilé et s'agenouille pieu sement devant le mort qu'il abrite. Son regard se lève un instant vers la voûte céleste où scintillent, maintenant, les milliers d'étoiles en leur écrin d'azur, puis il s'abaisse lentement vers la terre. V L'écho en a fait tressaillir le flanc des monts Baldo. Un cri a déchiré l'espace, un cri de désespoir suprême. La lune, qui se lève, éclaire de sa pâle clarté l'infortunée qui sanglote. . . . Elle soulève son fils, l'entoure de ses bras, le hisse sur son dos et s'en va, chancelante, emportant, loin de ce lieu de carnage, son précieux fardeau. Le lendemain, non loin de là, sur la montagne, de la terre avait été fraîchement remuée. Sur cette terre remuée, un képi. Au fond de ce képi, le numéro matricule 2oi3. Au-devant du képi et debout, une lance dépourvue de son dernier lambeau de drapeau arraché par le vent. Ce lambeau a été recueilli. Vous le trouverez sur le cœur d'une pauvre folle que longtemps on a rencontrée dans les rues de Strasbourg. Pleurez, mères qui n'avez plus d'enfants. Enfants qui n'avons plus de mère, souvenons-nous! Adrien de la ROCHE.