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Page:Le Sylphe - Poésies des poètes du Dauphiné, tome 1, 1887.djvu/233

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REVUE DES ÉCRIVAINS DAUPHINOIS 35 L'ENFANT DES ILES I La première quinzaine de juin s'annonçait splendide; le vent passait, ce jour-là, tiède et parfumé, entre les branches des hauts peupliers, des bouleaux, des saules et des ajoncs de cette ravis sante partie de Valence que l'on nomme : les Iles. Le soleil baisait avec délices notre beau fleuve, tout fier de servir d'immense psyché au ciel bleu, et le rossignol, la fauvette, le bouvreuil composaient un orchestre aérien, bien propre à bercer les dilet- tanti . Or, en ces moments, pourtant si doux, il y avait sur la berge du Rhône une pauvre femme assise, dont la tète semblait courbée par le désespoir. De temps en temps, elle relevait son front, et l'on pouvait apercevoir de grosses larmes roulant le long de ses joues amaigries; ses yeux allaient du ciel éblouissant à l'onde bleuâtre, comme pour demander à l'un du secours et à l'autre... peut-être une tombe. Soudain, elle tressaillit... une petite cloche retentissait dans l'atmosphère sonore, annonçant l'arrivée du bateau à vapeur venant de Lyon. La veuve, — elle portait des vêtements de deuil caractéristiques, — resta là encore absorbée par son chagrin, puis, comme elle se disposait à se lever, elle sentit une main légère s'appuyer sur son épaule, et une voix bien douce, bien harmonieuse, lui dit : — Mais, ma bonne, pourquoi pleurer de la sorte? Marthe se releva avec émotion et vit une charmante voyageuse, d'une distinction accomplie , accompagnée de sa femme de chambre. L'on ne pouvait rêver un type plus gracieux et plus sympathique. La noble étrangère plongeait son beau regard bleu velouté dans les yeux rougis de la pauvre femme, et semblait partager son affliction. — Oh ! Madame, répondit l'infortunée, mon mari, qui était un brave ouvrier employé dans l'entreprise des bateaux, est mort l'année dernière; il ne me reste qu'un enfant, un seul, mon gentil Noël, et il est bien malade, si malade, que je suis venue ici, désespérée, le laissant aux soins de sa tante, moi, qui ne l'ai pas quitte jusqu'ici d'une minute! Ma maisonnette est bien près, d'ailleurs. . . — Voulez-vous m'y mener tout de suite ? — Madame est trop bonne! mais je. n'ose... Nous sommes si pauvres, hélas ! . . . — Ne craignez rien, vous êtes avec une amie. . .