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Page:Le Sylphe - Poésies des poètes du Dauphiné, tome 1, 1887.djvu/242

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44 LE SYLPHE LA DERNIÈRE MELODIE D'AURÈLIO —,*$,«-— Lucrézia, assise dans une large chaise, derrière la grille qui ornait la cour de l'hôtel qu'elle habitait avec sa mère, près de la Porta Nuova, à Milan, attendait l'arrivée d'Aurélio, le jeune musicien, qui venait, chaque jour, apporter à sa jeunesse maladive un peu de distraction et de charme. Impatiente, elle venait d'interroger du regard la rue déserte, quand Aurélio, son violon sous le bras, apparut. Elle sourit : son visage pâle sembla s'illuminer. Aurélio s'arrêta devant la grille en saluant la jeune fille; et jetant son chapeau à terre, il commença, sur son violon, une musique délicieuse qui mit dans les yeux de Lucrézia un ravissement extraordinaire. Il joua longtemps, pendant que Lucrézia, la tête renversée, se laissait bercer par les notes plaintives du violon. La journée touchait à sa fin. Le soleil disparaissait, dorant de ses derniers rayons la Madone, qu'on apercevait sur le Dôme, et dont la tête semblait soutenir le ciel. Aurélio avait achevé son concert mélodieux. Il passa la main à travers les barreaux de la grille pour recevoir la pièce de monnaie que lui tendait Lucrézia, avec un sourire qui avait quelque chose de douloureux. Puis il s'éloigna lentement, après avoir jeté un long regard attendri sur la jeune malade. Aurélio était un pauvre musicien ambulant. La première fois qu'il avait joué devant Lucrézia, la jeune fille avait paru si joyeuse et lui avait remis avec tant de grâce une pièce d'argent, qu'il revint le lendemain. Lucrézia l'engagea à venir tous les soirs, lui donnant, chaque fois, pour prix de ses mélodies, la valeur d'une de ses meilleures journées. Aurélio était heureux! il ne se souciait plus de sillonner en tout sens la ville et ses environs, pour trouver ce qui était nécessaire à sa vie : il allait gaîment, au hasard, semblant jouer pour son propre plaisir. Bientôt, le contact journalier de Lucrézia, dont la beauté suave était rendue plus troublante encore par son état maladif, devint pour lui une véritable passion. Il entourait sa jeune bienfaitrice d'une sollicitude telle, il y avait tant de douceur dans ses regards, que Lucrézia se sentit prise pour le jeune homme d'une réelle amitié. Parfois, quand Aurélio, avec un sublime talent, faisait vibrer les accords d'une mélodie amoureuse, faisant passer dans les