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Page:Le Sylphe - Poésies des poètes du Dauphiné, tome 1, 1887.djvu/265

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REVUE DES ÉCRIVAINS DAUPHINOIS 67 les amours banales d'un poète qui semblait ignorer la véritable poésie, la poésie faite d'idéal et de pureté. Mais quand il entrevit ce nouveau ciel, ce paradis fascinateur, il s'y plongea avec l'ardeur qu'il mettait en toutes choses, avec une sorte de folie, excluant tous les biens matériels qui le rattachaient au monde! Adorateur insensé, sa poésie et son amour n'eurent plus d'autre objet, que les choses idéales d'un monde inanimé. Assurément, Floras avait le cerveau déséquilibré ! mais, puis qu'il trouvait dans cette vie un charme nouveau, une sérénité qui se lisait sur son visage, pourquoi aurait-il contrarié son esprit en se laissant guider par des subtilités dérisoires? La poésie est faite de fiction : Floras assimilait, tout simplement, cette fiction à sa vie nouvelle. Et de cette exclusion de passions réelles, pour d'autres passions purement fantaisistes, il en fit une sorte de théorie qui devint la religion de son âme, et à laquelle il se serait cru parjure defaillir, ne fut-ce qu'un instant. Il avait l'âme grande, une âme de poète! Il était né au sommet de l'échelle sociale, qu'il n'avait pas remontée, sous le double poids du travail et de la misère! En regardant de près sa phi- sionomie pensive, les traits réguliers de son visage, la majesté naturelle de son maintien, on eut dit, tant il passait étrange au milieu du monde, quelque demi-dieu, quelque personnalité my thologique, tombée au milieu d'une société ou elle se sentait égarée comme en un monde inconnu, et dont les habitudes étaient separées par des siècles ! Floras résolut de quitter Paris, il conçut le projet de parcourir le monde, c'est-à-dire l'Europe, et quitta la grande ville sans que le moindre regret assombrisse son front ! Il vit d'abord la patrie de Gœthe, dont le Faust philosophe et le Méphistophélès diabolique étaient des héros de son imagina tion ; comme eux, il avait eu sa nuit de Valpurgis, avec une autre Marguerite, moins pure, il estvrai, en revanche, plus parisienne ! Il vit la Russie, ses neiges, ses loups, ses voyages en troïka, ses villes et ses cosaques, la Pologne, « la malheureuse Pologne », où il chercha le souvenir de ses héros sublimes, comme Kociusko, Poniatowski ; de ses poètes, comme Mickiewiez. Floras arriva enfin en Italie sous le ciel radieux de Venise, de Rome, de Naples ; il vint ensuite à Florence. Là, il s'arrêta fatigué d'un long voyage presque vertigineux, et dans la belle cité du Dante, il résolut de s'arrêter quelques jours. Il choisit le longdel'Arno une demeure somptueuse, un palais, — et l'on sait qu'ils ne sont pas rares à Florence, — et passa les premiers jours dans un véritable enchantement, dans cette cité des poètes, dont la beauté grandit toujours dans sa vieillesse.