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cipité à quelques centaines de toises, sur un chemin ou sur un rocher.

Quant à me promener dans la magnifique rue d’Ouvidor, je m’en gardais bien. Il me suffisait d’y avoir entrevu les belles Brésiliennes étalant leurs toilettes aux lumières des boutiques, et suivies, selon l’usage, d’une ou deux mulâtresses ou d’autant de négresses et de quelques négrillons ; le tout marchant avec lenteur et gravité, le mari en tête. Du reste, dans ces toilettes, presque toujours de couleurs très-voyantes, j’avais remarqué un esprit d’économie et d’ordre que nos Françaises n’ont pas toujours. Ces couleurs un peu exagérées peuvent, en effet, braver impunément le soleil pendant quelque temps, puis elles se transforment en nuances plus tendres, ce qui produit un changement complet de toilettes sans nouveaux frais. Chaque jour, à l’un des bouts de la rue, j’aurais pu entendre une douzaine d’orgues et autant de pianos qui jouaient ensemble, pour attirer les chalands aux boutiques : c’était à qui ferait le plus de bruit. Mais je m’étais lassé bien vite de la ville et de ses distractions. Je dois noter cependant deux processions qui défilèrent sous ma fenêtre. — L’une d’elle avait pour objet de célébrer saint Georges. Tous les grands dignitaires faisaient escorte à un mannequin à cheval, cuirassé de pied en cap, représentant le saint. De loin je l’avais pris pour un personnage naturel. Par hasard, et comme pour me tirer d’incertitude, les gens chargés de surveiller le glorieux cavalier l’ayant oublié un instant, un saut du cheval faillit le désarçonner. — Dans l’autre procession figuraient de charmantes petites filles de huit à douze ans, habillées à la Louis  XV, avec des manteaux de soie, de velours, et surtout d’immenses ballons. Elles dansaient en s’avançant d’un air coquet. Par contraste, plusieurs d’entre elles étaient accompagnées d’individus, leurs pères sans doute, marchant fièrement à côté d’elles, avec des souquenilles vertes-rouges, des parapluies à la main et un cigare à la bouche. Les officiers de l’armée, toujours leur bonnet à poil ou leur shako sous le bras, portaient des effigies de saints et de saintes ; un tambour-major, tout rouge des pieds à la tête, précédait les sapeurs à tabliers couleur tigre. À l’arrière-garde, des nègres tiraient des pétards dans les jambes des curieux. C’est un usage qui paraît inséparable à Rio de toute fête, religieuse ou autre.

Dames brésiliennes, à Rio-de-Janeiro.


Les nègres. — Déménagement. — Vente d’esclaves.
Nègres portefaix, à Rio-de-Janeiro.

Ils sont bien drôles, ces nègres de Rio, le pays où ils sont, je crois, le plus heureux, si des esclaves peuvent jamais l’être ! L’un des premiers jours de mon installation, je quittai malgré moi mon travail, poussé par la curiosité : j’entendais certains sons étranges d’un bout de la rue à l’autre. Il s’agissait tout simplement d’un déménagement. Chaque nègre portait un meuble, gros ou petit, lourd ou léger, selon la chance. Tous mar-