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église, ces cris étaient des chants religieux poussés par les gens de couleur, qui sont coutumiers du fait, et qui en hurlant, se figurent qu’ils chantent leurs prières. Je m’habituai peu à peu à ces mœurs étrangères.

Le lendemain, mon hôte italien vint présenter avec moi les lettres de recommandation qu’on m’avait données pour le président de la province, le chef de la police et quelques riches particuliers. Dès ce début, je vis avec plaisir que le signor X… était un homme habile et qui savait tirer parti de tout. Il me donna vraiment bonne opinion de lui. Ces lettres me concernaient particulièrement : quand on les avait lues, il me traduisait quelques mots de compliments, d’offres de service, puis aussitôt, sans transition, il entretenait ces messieurs de ses intérêts, et faisait appel à leur bienveillance en leur expliquant longuement les projets merveilleux qu’il avait conçus dans le seul but d’être utile au pays. Cela fait, nous partions, lui fort satisfait, et moi me demandant si c’était bien là le but que mes hauts protecteurs de Rio s’étaient proposé en prenant la peine d’écrire en ma faveur les lettres dont un autre se servait à son profit. Cependant je dois reconnaître que grâce à l’une de ces épîtres bienveillantes on nous prêta des chevaux et un nègre chargé de les ramener du lieu où nous nous proposions de nous rendre. Il avait été résolu que nous laisserions nos bagages à Victoria, où dès notre arrivée à Santa-Cruz on enverrait des canots.

Le drapeau de la Fortalesca dans le port de Victoria.

Notre départ ayant été remis au jour suivant, j’allai visiter la ville et les environs. J’y trouvai enfin le commencement de ce que je venais chercher : des Indiens. Quelques-uns de ces pauvres anciens sauvages demeurent dans ce qu’on pourrait appeler des faubourgs, si Victoria était réellement une ville. Ce qu’ils habitent ne ressemble guère à des maisons ; ce ne sont pas des cases non plus ; pour mon goût, ces Indiens-là n’étaient pas encore assez naturels : un peu de civilisation avait déteint sur eux, et ce peu était déjà beaucoup trop. Dans plusieurs de leurs taudis ou j’entrai, je fus surpris de voir presque toutes les Indiennes faire de la dentelle de fil. Partout, en outre, une perruche privée était attachée à un bâton fiché au mur. Pendant cette promenade, j’eus du moins la satisfaction de rencontrer quelques beaux perroquets à l’état tout à fait sauvage.


Selles et étriers. — Nova-Almeïda. — Tribulations. — Orchidées. — l’église de Santa-Cruz.

Le lendemain matin, les chevaux étaient à notre porte, tout bridés ; on n’avait oublié que les selles. Pour s’en procurer il fallut parcourir de nouveau la ville, ce qui n’était pas absolument récréatif, certains quartiers étant perchés sur des hauteurs, et les rues n’étant bien souvent que des rochers sur lesquels on glisse à chaque pas. Après avoir bien questionné des passants et avoir été renvoyé de maison en maisons ; après avoir entendu mon compagnon s’écrier mille fois avec des gestes de désespoir : « Um cavallo, senza…! » et tous ceux qui l’écoutaient, répéter, en s’éloignant et en levant les yeux au ciel, la même exclamation : « Un cheval sans selle ! » je commençais à penser que le plus court serait