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grande ville de la Russie pour faire un voyage, il faut l’annoncer huit jours d’avance. Le nom du voyageur est inséré trois fois dans la gazette pour que, s’il a des dettes, ses créanciers puissent prendre les mesures nécessaires. Ici, dans cette grande île, huit jours ne suffisent pas ; il faut trois semaines, à moins qu’on ne fournisse caution, comme en Russie. Je m’attendais si peu à trouver dans une colonie anglaise une institution si surannée, que je ne m’occupai pas du tout de mon passe-port. Quelques jours avant mon départ, je demandai au consul français un visa, plutôt pour me rappeler à son souvenir que parce que je le croyais nécessaire.

Le même jour, j’appris par hasard à table que cela ne suffisait pas et qu’il fallait pour partir avoir la permission de la police. Comme je dînais chez M. O…, associé de M. Lambert, et que plusieurs messieurs de ma connaissance s’y trouvaient, je demandai que l’un d’eux voulût bien se charger de cette formalité, que je regardais comme tout à fait insignifiante, et se porter caution pour moi. À ma très-grande surprise, les Français, si galants et si polis, cherchèrent mille défaites pour ne pas me rendre ce service. Le lendemain j’allai trouver un Anglais, M. Kerr, et quelques heures après j’eus un passeport.

À mon profond regret, je dois avouer qu’au dernier moment j’eus aussi à me plaindre d’une impolitesse d’un Anglais, qui n’était autre que le gouverneur.

À mon arrivée à Maurice, ce personnage m’avait très-bien accueillie, m’avait même invitée à sa maison de campagne, et sans que je le lui eusse demandé, il m’avait offert une lettre pour la reine de Madagascar. Quand, peu avant mon départ, j’allai lui rappeler sa promesse, il me refusa la lettre, sous prétexte que mon compagnon de voyage, M. Lambert, était un homme politiquement dangereux.

On me fit, comme on voit, beaucoup d’honneur à Maurice. Les Français me prirent pour un espion de l’Angleterre, et le gouvernement anglais pour un espion de la France !

Île Maurice : La Rivière-Noire. — Dessin de Potémont d’après nature.

Après toutes ces agréables expériences, tout le monde comprendra qu’il me tardait de quitter ce petit pays et ses habitants aux idées plus petites encore. Je m’efforcerai de ne garder de l’île que le souvenir de ses beautés naturelles et celui de l’amitié et des prévenances que me témoignèrent les personnes citées dans le cours de mon récit. Je n’ai pas trouvé occasion de les nommer toutes, car d’autres encore, comme MM. Feruyhenjk, Beke, Gonnet, m’ont rendu beaucoup de services. Je les en remercie du fond du cœur.

Traduit par W. de Suckau.

(La suite à la prochaine livraison.)