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patiemment dessiné comme étude botanique ; mais cette épreuve m’a suffi.

Je laisse ici la parole à M. Heuglin :

« Le rivage est découpé de baies et de marigots ; une raie d’écume entoure les madrépores, les bancs de sable, les îlots de vase ; et les vagues, après avoir épuisé leur force contre un lacis de racines et les masses de conglomérats brunâtres, s’en vont finir au sein d’eaux mortes. Des nids d’oiseaux de mer sont appendus à la cime des arbres qui plongent, dans une vase ardente, leurs branches entrelacées, et des amas coniques de racines qui supportent de jeunes scions, terminés par des grappes d’un vert brillant, forment d’épais fourrés où nul rayon ne pénètre. Ces voûtes de verdure recèlent une atmosphère humide et empoisonnée, produite par la décomposition des débris charriés par la mer ; pas le moindre souffle ne tempère cette ardente fournaise ; l’intensité de la chaleur y est telle, que l’on éprouve comme une sensation de bien-être en se dérobant à leur influence pernicieuse pour s’exposer aux rayons d’un soleil tropical. »

À l’exception des terres plates envahies par les palétuviers, toute cette côte est bordée d’une sorte de bourrelets de conglomérats madréporiques des plus intéressants pour un géologue. Ce bourrelet, sans cesse rongé par la mer et peu résistant de sa nature, cède peu à peu, se creuse par-dessous et laisse parfois tomber dans le flot vainqueur d’énormes blocs destinés à disparaître à leur tour. Salt a dessiné cet effet géologique dans sa vue de la baie d’Amphila, qui pourrait tout aussi bien servir pour la pointe Gherar, par exemple, ou les diverses pointes qui se voient entre Ghedem et la mer.

Monkoulo. — Dessin de Eug. Cicéri d’après un croquis de M. Lejean.

Rien de plus original que le sol même de l’île de Massaoua où je débarquais dix minutes après ma promenade aux palétuviers. C’est un musée de coraux de toute forme, une collection de tous les spécimens de végétation lithique qui donnent à la mer Rouge un cachet particulier. C’est surtout dans les murs des maisons qui avoisinent le cimetière, dans les constructions funéraires et surtout dans les voûtes des citernes que l’amateur peut admirer toutes ces variétés coralliques que mon ignorance des mots techniques m’empêche d’énumérer ici. Les plus nombreuses et à coup sûr les plus belles sont de superbes méandrines grosses comme de fortes têtes humaines, et rappelant, avec une fidélité qui fait peur, les volutes d’un cerveau mis à nu. J’en ai rapporté une vraiment splendide.

J’ai parlé des citernes : elles occupent le tiers de l’île de Massaoua, et la tradition indigène les attribue aux Farsis (aux Perses), tradition qui a bien son fond de vérité, car il paraît établi qu’au temps de Khosroës, un peu avant l’islamisme, la Perse régnait sur toute cette partie de la mer Rouge. Tout ce qui, dans ces régions, n’est pas authentiquement musulman ou peut-être abyssin est farsi. Ainsi les ruines de l’île d’Akik, entre Massaoua et Souakin ; ainsi les citernes de Massaoua ; ainsi les deux cents citernes de Dahlak. Sans nier l’action que le peuple persan, très-civilisé, très-pratique surtout en matière de travaux publics, a pu avoir sur ces pays, j’avoue que je ne comprends guère que pendant une si courte occupation (moins d’un siècle) ce peuple ait eu le temps de songer à de pareils travaux, encore moins à les exécuter.

Quels que soient les auteurs des citernes de Massaoua, elles font honneur à leur mémoire, non-seulement par leur dimension, par la difficulté vaincue, mais encore par la beauté du travail, dont on peut se faire une idée en examinant les trois ou quatre qui sont à peu près entières. Elles ont à peu près (qu’on nous pardonne une comparaison triviale) la forme de nos malles bombées, c’est-à-dire qu’elles sont protégées par une sorte de couvercle ou de voûte légère en fragments de coraux