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Page:Le livre des mille nuits et une nuit, Tome 10, trad Mardrus, 1902.djvu/234

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les mille nuits et une nuit

répondit : « Je dois te dire, ô mon maître, que jusqu’aujourd’hui je n’ai aimé véritablement que les gais compagnons, les mets délicats, les boissons et les parfums ; et je n’ai rien trouvé de supérieur dans la vie à la causerie, la coupe à la main, avec les amis. Mais cela ne signifie point que je ne sache pas à l’occasion reconnaître les mérites d’une femme, surtout si elle est semblable à l’une de ces merveilleuses adolescentes que le Cheitân m’avait laissé voir dans ces songes fantastiques qui m’avaient rendu fou ; une de ces adolescentes toujours de belle humeur, qui savent chanter, jouer des instruments, danser et calmer l’enfant dont nous sommes les héritiers ; qui consacrent leur vie à notre plaisir et s’étudient à nous plaire et à nous divertir. Certes ! si jamais je rencontrais une telle adolescente, je me hâterais de l’acheter à son père et de me marier avec elle et d’avoir pour elle un profond attachement. Mais cette espèce-là n’existe que chez l’émir des Croyants et tout au plus chez le grand-vizir Giafar ! C’est pourquoi, ô mon maître, au lieu de tomber sur une femme qui risquerait de me gâter la vie par sa mauvaise humeur et ses imperfections, je préfère de beaucoup la société des amis de passage et des vieilles bouteilles que voici. De cette façon, ma vie est tranquille, et, si je deviens pauvre, je mangerai seul le pain noir de la misère ! »

Et, disant ces paroles, Aboul-Hassân vida d’un trait la coupe que lui tendait le khalifat, et roula aussitôt sur le tapis, la tête avant les pieds. Car le khalifat avait pris soin, cette fois encore, de mélanger au vin un peu de poudre de bang crétois. Et