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Page:Le livre des mille nuits et une nuit, Tome 10, trad Mardrus, 1902.djvu/249

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histoire du dormeur éveillé
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le loin, ne douta plus, en voyant sa favorite Canne-à-Sucre dans cet état, que la mort n’eût fait son œuvre sur son époux Aboul-Hassân. Aussi, affligée à la limite de l’affliction, elle lui prodigua elle-même tous les soins que comportait son état, et la prit sur ses genoux, et réussit à la rappeler à la vie. Mais Canne-à-Sucre, éplorée et les yeux baignés de larmes, continua à gémir et à se griffer et à se tirer les cheveux et à se frapper les joues et la poitrine, en soupirant, à travers ses sanglots, le nom d’Aboul-Hassân. Et elle finit par raconter, en mots entrecoupés, qu’il était mort, pendant la nuit, d’une indigestion. Et elle ajouta, en se donnant un dernier coup sur la poitrine : « Il ne me reste plus qu’à mourir à mon tour. Mais qu’Allah prolonge d’autant la vie de notre maîtresse ! » Et elle se laissa encore une fois tomber aux pieds de Sett Zobéida ; et elle s’évanouit de douleur.

À cette vue, toutes les femmes se mirent à se lamenter autour d’elle, et à regretter la mort de cet Aboul-Hassân qui les avait tant diverties de son vivant par ses plaisanteries et sa bonne humeur. Et, par leurs pleurs et leurs soupirs, elles témoignèrent à Canne-à-Sucre, revenue de son évanouissement à force d’avoir été aspergée d’eau de roses, la part qu’elles prenaient à son deuil et à sa douleur.

Quant à Sett Zobéida, qui pleurait elle aussi, avec ses suivantes, la mort d’Aboul-Hassân, elle finit, après toutes les formules de condoléance que l’on dit en pareille circonstance, par appeler sa trésorière, et elle lui dit : « Va vite prendre, sur ma cassette particulière, un sac de dix mille dinars d’or, et