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Page:Le livre des mille nuits et une nuit, Tome 10, trad Mardrus, 1902.djvu/288

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les mille nuits et une nuit

il n’avait plus de cris de joie, de battements d’ailes et de caresses que pour le jeune Anis, l’associé de son maître. Et le juif pensait en lui-même : « Par Moussa et Aâroun ! cet oiseau m’a oublié ! Et sa conduite à mon égard me rend encore bien plus précieux les sentiments de mon épouse qui, elle, est tombée malade de la douleur de mon absence ! » Ainsi il pensait ! Mais une autre chose étrange ne tarda pas à le frapper et à lui donner mille idées torturantes.

En effet, il remarqua que son épouse, si réservée et si modeste en présence d’Anis, avait, dès qu’elle était endormie, des rêves bien extraordinaires. Elle tendait les bras, haletait, soupirait et faisait mille contorsions en prononçant le nom d’Anis et en lui parlant comme parlent les amoureuses les plus passionnées. Et le juif fut extrêmement étonné de constater cette chose-là plusieurs nuits de suite, et pensa : « Par le Pentateuque ! cela est pour me démontrer que les femmes sont toutes les mêmes, et que lorsque l’une d’elles est vertueuse et chaste et continente comme mon épouse, il faut que, d’une façon ou d’une autre, elle satisfasse ses mauvais désirs, ne fût-ce qu’en rêvant ! Éloigné de nous soit le Malin ! Quelle calamité que ces créatures formées avec la flamme de l’enfer ! » Puis il se dit : « Il me faut mettre mon épouse à l’épreuve ! Si elle repousse la tentation et si elle reste chaste et réservée, c’est que le fait de l’oiseau et le fait des rêves ne sont qu’une coïncidence d’entre les coïncidences sans conséquence ! »

Or, quand vint l’heure du repas habituel, le juif