Page:Leconte de Lisle - Premières Poésies et Lettres intimes, 1902.djvu/128

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
95
et lettres intimes

Assisterai-je encore à vos luttes sublimes
Contre les vents, la foudre et les béants abîmes ?
Salazes ! C’en est fait, j’ai quitté sans retour
Et vos pieds parfumés et mon natal séjour,
Et jamais mon regard ne portera mon âme
Sur vos fronts couronnés de neiges et de flamme !

Venez, blancs albatros qui, fixés par les airs,
Bercés de l’aquilon, dormez dans les éclairs !
Venez, graves oiseaux ; volez haut dans la nue,
Fendez les cieux d’un coup de votre aile charnue,
Venez, apprenez-moi l’essor impérieux
Qui me mettrait soudain sur la route des cieux ;
Aigles de nos climats, enfants de nos tempêtes,
Vous, pour qui l’Océan et la foudre ont des fêtes,
Il n’est point d’horizon pour votre liberté,
Car vos larges poumons veulent l’immensité !…
Ô frères, si j’avais ainsi que vous des ailes,
Je vous irais rejoindre aux voûtes éternelles,
Et, planant sur ces mers qu’aime le vieux soleil,
Je reverrais encor, comme au premier réveil,
Mes montagnes d’airain, géantes séculaires,
Dresser avec fierté leurs têtes solitaires.



C. Leconte de l’Isle.