Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/349

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

comme une dissonance, un petit article, amer, moqueur, cruel, signé d’un critique romancier, ami intime d’Eugène Sue et qui avait été très favorable à Plick et Plock. Eugène Sue court chez lui et l’aborde avec des paroles de surprise et de chagrin. « Que tu n’aimes pas mon livre, lui dit-il, rien de plus simple ; que tu écrives ton opinion, c’est affaire de conscience. Mais un pareil écrasement ! Je ne comprends pas. ― Que veux-tu, mon cher ! lui répondit l’autre, quand Plick et Plock a paru, je l’ai loué chaudement, je ne voyais en toi qu’un jeune homme du monde, riche, qui désirait un brevet d’homme d’esprit, et qui ne recommencerait pas. Mais voilà que, six mois après ton premier ouvrage, tu en fais un second, et beaucoup meilleur que le premier ! et qui a beaucoup plus de succès que le premier ! Oh ! un instant ! cela, c’est de la concurrence. Il n’y a qu’un certain nombre de lecteurs de romans. Si tu en prends une partie, tu nous l’enlèves. Tu nous fais du tort ! je tâche de t’écraser, c’est de bonne guerre ! » A quoi Eugène Sue lui répondit froidement : « Eh bien, mon cher ami, tu es un nigaud, c’est à mon début qu’il fallait m’écraser. J’étais inconnu, tu pouvais beaucoup me nuire ; aujourd’hui, il est trop tard ! tu m’as laissé grandir. Tes critiques ne font que me servir maintenant, en me donnant ce qui me manquait, et ce qui couronne le succès, des envieux : merci ! » Un troisième ouvrage, la Salamandre, consacra sa réputation de romancier maritime et montra en lui un coloriste puissant ; relisez son chapitre : La Salamandre a reçu sa paye hier ; on croit voir l’admirable kermesse