Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/420

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mais tout à coup, au milieu de l’histoire, quand la mère tint bien devant elle, attentif et les yeux fixes, son petit auditeur, qui l’écoutait en futur auteur dramatique, elle ferma le livre et lui dit : « Lorsque tu voudras savoir le reste, tu le liras toi-même. » Onze jours après, il le lisait.

Entré au collège gratuitement, il fit des études si brillantes que, dans sa classe de rhétorique, il obtint un honneur, partagé à peu près vers le même temps par deux hommes devenus illustres, M. Cousin et M. Villemain ; en l’absence du professeur, Goubaux occupa quelquefois sa chaire et devint le maître de ses condisciples. Dès ce moment, se remarqua en lui une double qualité très rare : il était également propre à apprendre et à enseigner ; cette universelle faculté de compréhension, cette merveilleuse lucidité d’intelligence qui lui rendait facile l’étude des langues comme celle des sciences exactes, la connaissance de l’histoire comme celle de la musique, il les portait dans l’enseignement. Né maître, pour ainsi dire, il l’était si naturellement, avec si peu d’effort, avec une parole coulant si bien de source, que sa facilité gagnait ses élèves ; il n’y avait pas moyen de comprendre avec peine ce qu’il avait si peu de peine à expliquer. La clarté de l’esprit avait chez lui le caractère qui semble réservé à la bonté seule : elle était contagieuse. Puis il aimait tant tout ce qui s’apprend ! Il aimait tant tous ceux auxquels il apprenait quelque chose ! Qui aurait pu lui résister ? On devient forcément un bon élève quand on trouve le cœur d’un ami sur les lèvres d’un maître.