Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/421

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Bien lui prit, du reste, d’avoir bon nombre de leçons, car, à dix-neuf ans il était marié, et à vingt ans il était père ; aussi m’a-t-il souvent conté que, pour augmenter son petit budget, il allait, plusieurs fois par mois, mettre en ordre les comptes d’un bureau de loterie, et qu’il en revenait à deux heures du matin, chantant et frappant de sa canne sur les bornes avec des airs de conquérant ; on lui avait donné quarante sous et le souper.

Quelques années après, cependant, cette intelligence, qu’on ne surfait pas en l’appelant merveilleuse, lui valut une proposition presque égale à une fortune. Un homme habile vint le trouver et lui dit : « Monsieur, vous avez beaucoup de savoir, et moi je n’en ai pas du tout ; mais vous n’avez pas du tout d’argent, et moi j’en ai. Si nous faisions du Florian en prose ? Si nous réalisions la fable de l’Aveugle et du Paralytique ? Associons-nous pour fonder un pensionnat. Chacun apportera son capital ; vous, votre intelligence, moi mes écus, et nous partagerons les bénéfices. » Jugez s’il accepta. La pension Saint-Victor fut fondée, et voilà le jeune professeur, chef d’un grand établissement. Cependant l’achat du matériel et du pensionnat avait coûté fort cher ; il fallut appeler un autre associé, et l’on souscrivit, pour dernier payement, un billet de 45,000 francs, payable à six mois d’échéance. Deux noms furent inscrits sur le billet, quoiqu’une seule personne dût le payer, bien entendu, et Goubaux rit beaucoup en donnant sa signature ; il lui semblait plaisant que son nom fût censé valoir 45,000 francs ; cela lui donnait un air de raison sociale