Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/514

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le sujet, mais où il était question des croyances religieuses, Schœlcher se leva, dompta la peur la plus forte, je dirais presque la seule peur qu’il connaisse, la peur de la tribune, et déclara hautement qu’il était athée. Ce fut une impression générale de surprise et de peine. Là encore, il y eut surtout de sa part le besoin de réclamer les droits de la liberté de conscience, mais son tort, selon moi, n’en était pas moins réel. On ne doit pas scandaliser, sauf pour remplir un devoir. Je le lui dis franchement, à quoi il me répondit : « Mais, enfin, mon cher ami, puisque c’est la vérité ! ― Eh bien, répliquai-je vivement, non ! Ce n’est pas la vérité ! Non ! vous n’êtes pas athée ! Non ! vous n’êtes pas matérialiste ! ― Eh ! que suis-je donc ? reprit-il un peu étonné. ― Vous êtes le plus grand spiritualiste que je connaisse. » Là-dessus il se récrie, et la bataille commence. « Voyons, mon cher ami, lui dis-je, raisonnons. N’est-ce pas un acte du spiritualisme le plus absolu, que d’obéir aveuglément à ce qui n’a ni corps, ni forme, ni substance, ni étendue, à ce qui n’occupe aucune place, ni dans l’espace, ni dans le temps ? ― Sans doute. ― C’est précisément ce que vous faites. ― Moi ? ― Vous ! N’est-il pas vrai que la vérité, la liberté, l’humanité, la justice, sont les souveraines maîtresses de votre vie ? N’êtes-vous pas prêt à sacrifier tout pour elles ? ― Je l’espère. ― Dites-moi donc, je vous prie, comment est-ce fait, la justice ? Quelle forme cela a-t-il, la vérité ? Où cela loge-t-il, la charité ? Sous quel sens cela tombe-t-il, la liberté ? Est-ce solide ? fluide ? aérien ? Vous nous reprochez d’adorer un Être immatériel… Mais vous,