Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/573

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Guerrero m’avait ouvert le cabinet de Scribe. J’allais le voir assez souvent le matin. Un jour, je le trouvai fort agité. « Vous arrivez à propos, me dit-il, vous aller me donner un conseil. On me fait une proposition qui me tente et m’effraye. Le directeur du Théâtre-Français, M. Buloz, me demande d’écrire un rôle pour Mlle Rachel. ― Qui vous arrête ? ― Corneille et Racine ! Comment voulez-vous que je mette mon humble prose dans cette bouche habituée à réciter les vers d’Andromaque et d’Horace ? ― Qu’est-ce que cela vous fait ? ― Vous n’en seriez pas effrayé ? ― Pas du tout. ― Vous oseriez écrire en prose un rôle pour l’interprète de Phèdre et de Camille ? ― Parfaitement. ― Eh bien, cherchez un sujet, et nous ferons la pièce ensembles. »

Trois jours après, j’arrive avec le classique Eureka, j’ai trouvé ! Je lui raconte mon idée. « Elle n’est pas bonne, votre idée. ― Pourquoi ? ― Parce qu’elle n’a pas d’intérêt. ― Pas d’intérêt ! m’écriai-je, et je commençais à plaider en sa faveur… ― Faisons l’épreuve, me dit-il en m’interrompant. Si votre sujet est fécond, nous le verrons bien en une demi-heure. Cherchons. » Et le voilà qui se jette au travers de mon