Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/574

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idée, comme un chasseur dans un champ de luzerne ou de betteraves, battant le terrain en tous sens, quêtant, furetant… et au bout de vingt minutes : « Mon cher ami, vous voyez que j’avais raison, buisson creux. Il n’y a pas une pauvre petite caille là dedans. Il faut chercher autre chose. » Je vis là en action cette facilité merveilleuse qu’avait Scribe de démêler du premier coup d’œil si une idée était dramatique ou non. Quelques jours après, j’arrive chez lui avec le sujet d’Adrienne Lecouvreur. A peine avais-je parlé, qu’il bondit sur sa chaise, se lève, vient à moi, et me saute au cou en me disant : « Cent représentations à six mille francs. ― Vous croyez ? lui dis-je. ― Je ne le crois pas ! J’en suis sûr ! C’est une trouvaille admirable. Vous avez découvert le seul moyen de faire parler Rachel en prose. Venez demain matin, nous commencerons tout de suite. » A dix heures, j’entrais dans son cabinet ; il était aux prises avec son barbier, qui le tenait par le nez… En me voyant, il me dit impétueusement, avec cette voix particulière d’un homme qu’on rase… « Mon cher ami, j’ai trouvé. ― Prenez garde ! monsieur Scribe, lui dit son barbier, vous allez vous faire couper. ― Eh bien, dépêchez-vous ! » Et tout le temps que dura l’opération, ses doigts s’agitaient fiévreusement…, il me jetait des coups d’œil et des sourires… Et à peine le barbier parti… le voilà qui tout en plongeant sa figure dans sa cuvette, en se peignant, en mettant sa chemise, en passant sa culotte, en attachant sa cravate, en endossant son gilet et sa redingote…, en attachant sa montre…, me jette une foule de commencements d’idées, d’ébauches