Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/575

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de situations, ou de personnages, qui avaient poussé dans sa tête depuis la veille ; j’y mêle ce qui avait aussi germé dans la mienne, et aussitôt sa toilette achevée, car il aimait beaucoup à travailler tout habillé et tout prêt à sortir,… il s’asseoit sur sa petite chaise, en face de sa table… « En maintenant, me dit-il, à la besogne. »

Je n’entrerai pas dans le détail de cette collaboration, J’y voudrais relever seulement deux ou trois faits, propres à éclairer, dans Scribe, l’auteur, le collaborateur et l’homme.

Nous avons dans notre argot de théâtre un mot très significatif, c’est le mot « numérotage. » Le numérotage est l’ordre des scènes. Or, cet ordre n’est pas seulement une classification, il ne constitue pas seulement la clarté, la logique, il comprend aussi la progression, c’est-à-dire l’intérêt. Le numérotage est un ordre qui marche. Chaque scène doit non seulement venir de la scène qui précède et s’unir à la scène qui suit, mais elle doit lui imprimer son mouvement, de façon à pousser la pièce sans interruption, et d’étape en étape, vers le but final, le dénouement. Scribe avait non pas le talent, mais le génie du numérotage. A peine un plan de pièce ébauché, tous les matériaux de l’œuvre venaient comme par enchantement se ranger sous sa main, dans leur ordonnance logique. A peine de nos premières conversations sur Adrienne Lecouvreur, lorsque les situations de la pièce étaient encore à l’état d’ébauche, je le vis tout à coup se lever, s’asseoir à sa table et écrire. « Qu’écrivez-vous donc ? lui dis-je. ― L’ordre des scènes