Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/585

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drame très sombre, en cinq actes, et destiné à l’Ambigu. Après le premier acte : « Eh bien ! cher maître, votre avis ? dit l’auteur. ― Continuez, mon ami, continuez, répond Scribe d’un air préoccupé. Voyons le second acte. » La lecture continue ; plus la pièce avançait, plus elle devenait sombre, et plus elle devenait sombre, plus la physionomie de Scribe devenait gaie. Un peu interdit de ce genre de succès auquel il ne s’attendait pas, le pauvre auteur balbutie, se trouble, jusqu’au moment où Scribe, éclatant tout à coup, s’écrie : « Ah ! c’est à mourir de rire ! ― Assez, cher maître, assez ! dit l’auteur, un peu piqué. Je vois bien que ma pièce est mauvaise. ― Comment mauvaise ! Dites donc excellente, charmante. Il y a là des effets d’un comique irrésistible. Ferville sera aussi amusant qu’Arnal. » A ce nom d’Arnal, l’auteur tragique bondit, indigné. Il s’imaginait que Scribe n’avait pas écouté un mot de la pièce. Erreur ! Non seulement il l’avait écoutée, mais il l’avait refaite : à mesure qu’arrivaient les scènes les plus lugubres, il les transformait soudain en scènes de vaudeville, et quand la lecture fut finie, le gros mélodrame en cinq actes, bien commun, bien lourd, était devenu une ravissante et pimpante comédie en un acte, la Chamoinesse.