Page:Leibniz - La Monadologie, éd. Bertrand, 1886.djvu/63

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ou en un mot des principes primitifs, qui ne sauraient être prouvés et n’en ont point besoin aussi ; et ce sont les Énonciations identiques, dont l’opposé contient une contradiction expresse.

36[1]. Mais la raison suffisante se doit aussi trouver dans les vérités contingentes ou de fait, c’est-à-dire, dans la suite des choses répandues par l’univers des créatures, où la Résolution en raisons particulières pourrait aller à un détail sans bornes, à cause de la variété immense des choses de la Nature et de la division des corps à l’infini. Il y a une infinité de figures et de mouvements présents et passés, qui entrent dans la cause efficiente de mon écriture présente ; et il y a une infinité de petites inclinations et dispositions de mon âme, présentes et passées, qui


    simples qu’en apparence, ce sont les idées sensibles, toujours décomposables par la pensée ou par des instruments perfectionnés. « Je crois qu’on peut dire, que ces idées sensibles sont simples en apparence, parce qu’étant confuses elles ne donnent point à l’esprit le moyen de distinguer ce qu’elles contiennent… Je consens pourtant volontiers qu’on traite ces idées de simples parce qu’au moins notre aperception ne les divise pas ; mais il faut venir à leur analyse par d’autres expériences et par la raison, à mesure qu’on peut les rendre plus intelligibles. » (Nouv. Ess., liv. II, ch. iv.)

    Énonciations identiques. — Selon Leibniz il n’y a pas d’autres propositions évidentes que ces énonciations identiques ou propositions essentiellement analytiques. Kant au contraire considère la définition de la ligne droite, par exemple, comme une proposition synthétique, c’est-à-dire dont l’attribut n’est pas enveloppé dans le sujet et lui ajoute quelque chose. La théorie de Leibniz semble aboutir à la langue des calculs telle que l’entendait Condillac : les raisonnements ne seraient que des suites d’identités. Selon Kant, les jugements synthétiques seraient les seuls instructifs ; les autres ne seraient que l’inventaire de nos connaissances et le catalogue de nos idées. On sait aussi que la grande question métaphysique, selon Kant, est celle-ci : les jugements synthétiques à priori sont-ils possibles ?

  1. Détail sans bornes, variété immense des choses, infinité de figures et de mouvements présents et passés. — On connaît le mot : dum Deus calculat et cogitationem exercet fit mundus. Dieu seul est capable par l’infinité de son intelligence et la perfection de ses calculs de résoudre à chaque instant le problème suivant : « Étant donné l’état intérieur d’une monade, quel est l’état correspondant de toutes les monades de l’univers ? » La résolution en raisons particulières serait donc toujours possible si nous avions une vue aussi pénétrante que celle de Dieu. Ainsi, dans les cas de prétendue liberté d’indifférence, Dieu voit nettement les motifs qui nous échappent et pourtant nous inclinent. (Théod., §49.) L’âme de Buridan n’est en effet qu’un âne : son ignorance explique son indifférence, mais son indifférence n’est jamais complète, il s’ensuit que son ignorance n’est jamais entière. C’est ainsi « qu’un ange, Dieu au moins pourrait toujours rendre raison du parti que l’homme a pris, en assignant une cause ou une raison inclinante qui l’a porté véritablement à le prendre ; quoique cette raison serait souvent bien composée et inconcevable à nous-mêmes, parce que l’enchaînement des causes liées les unes aux autres va loin. » Le sage ressemble donc à Dieu en ce qu’il peut toujours, comme dit Cicéron, donner une raison plausible de sa conduite ; ce qui est, envisagée au moral, la définition même que Socrate ou Bossuet donneraient