Page:Lemaître - Jean-Jacques Rousseau, 1905.djvu/191

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rencontre d’auberge. — « J’ai passé ma vie, dit-il quelque part, à convoiter et à me taire auprès des personnes que j’aimais le plus. » Oh ! avoir enfin un bel amour ! Mais Jean-Jacques a quarante-cinq ans ; il est trop tard ; et puis il ne voudrait pas faire de peine à Thérèse.

Alors, dit-il, l’impossibilité d’atteindre aux êtres réels me jeta dans le pays des chimères ; et ne voyant rien d’existant qui fût digne de mon délire, je le nourris dans un monde idéal, que mon imagination créatrice eut bientôt peuplé d’êtres selon mon coeur… J’imaginai deux amies… Je fis l’une brune et l’autre blonde, l’une vive et l’autre douce, l’une sage et l’autre faible, mais d’une si touchante faiblesse que la vertu semblait y gagner. (Parbleu !) Je donnai à l’une des deux un amant dont l’autre fut la tendre amie, et même quelque chose de plus… Épris de mes deux charmants modèles, je m’identifiais avec l’amant et l’ami le plus qu’il m’était possible ; mais je le fis aimable et jeune, en lui donnant au surplus les vertus et les défauts que je me sentais.

Après quoi il leur cherche un séjour, songe pour eux aux Iles Borromées, et finalement les place à Vevey, au bord de son cher lac. Il se mit alors, dit-il, à écrire au hasard, rien que pour « donner l’essor au désir d’aimer qu’il n’avait pu satisfaire et dont il se sentait dévoré ». Il assure que les deux premières parties de Julie ont été écrites de cette manière, « sans qu’il eût aucun plan bien formé, et même sans prévoir qu’un jour il serait tenté d’en faire un ouvrage en règle ».