Page:Lemaître - Jean-Jacques Rousseau, 1905.djvu/234

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une « disposition à rechercher le bonheur » et qu’elle est donc, elle aussi, naturelle.

C’est (dit Rousseau, et il est revenu vingt fois sur cette distinction), c’est que le désir de se conserver et d’être heureux, bref l’égoïsme naturel à l’homme est forcément inoffensif quand l’homme vit isolé, dans l’état sauvage. Mais cet innocent égoïsme devient malfaisant lorsque les hommes vivent ensemble : car alors l’égoïsme de chacun se heurte à celui des autres et se transforme en amour-propre, vanité, orgueil, cupidité, haine, envie, etc. Et c’est ainsi que la nature est corrompue par la société.

— Mais, reprendrons-nous, il n’en est pas moins vrai que la société est dans la nature ; que la société est la nature encore. Lorsque les théologiens parlent des suites du péché originel ; lorsque les moralistes parlent des instincts égoïstes et de l’animalité qui est en nous ; et lorsque les uns déclarent la nature mauvaise, et lorsque les autres la jugent fort mêlée, il est bien évident qu’ils ne parlent pas de l’homme préhistorique, vivant (si toutefois il y a jamais vécu) dans un état d’isolement dont nous ne savons rien, mais, de l’homme vivant avec ses semblables, car c’est là seulement que nous pouvons observer la « nature ». Et, là, nous ne pouvons vraiment pas dire que la nature est bonne : mais nous sommes bien obligés de reconnaître qu’elle est plus ou moins bonne ou mauvaise selon les individus, — et que, justement, l’objet de l’éducation