Page:Lemaître - Jean-Jacques Rousseau, 1905.djvu/238

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de lectures jusqu’à dix ans. Émile n’apprendra rien par coeur, pas même les fables de La Fontaine, parce qu’il n’est pas capable de les entendre. Mais on dirigera soigneusement, toujours sans en avoir l’air, l’éducation de ses sens. D’excellentes pages là-dessus. On l’amènera (car il ne s’agit pas de l’y contraindre) à vivre beaucoup en plein air, à exercer beaucoup son corps. Comme nourriture, des légumes, des fruits, le régime végétarien.

En somme, ne vous y trompez pas, cette éducation, où on laisse tant de liberté à l’enfant, est des plus rudes. Il est très fâcheux pour Émile qu’il y ait eu jadis une ville-couvent du nom de Sparte. — Les leçons de sagesse que donnent les choses sont parfois brutales. On n’oblige point Émile à travailler : mais, s’il casse exprès une vitre de sa chambre, on ne la remet pas ; et tant pis pour lui s’il attrape un gros rhume ! La tendresse paraît singulièrement absente de cette pédagogie. On y voudrait un petit reste de faiblesse maternelle. Et l’on se ressouvient que Rousseau ne connut ni sa mère, ni ses enfants.

Cet homme est plein d’imprévu ! Bien qu’il n’ait nulle part formulé expressément cette sottise : « le droit au bonheur », il est certain pourtant que, dans tous ses livres, son objet est le bonheur des hommes. Ici, son objet est le bonheur d’Émile. Et voilà que, chemin faisant, ce bonheur devient simplement la moindre souffrance. L’art d’être heureux est l’art de supporter, l’art de resserrer sa vie.