Page:Lemaître - Jean-Jacques Rousseau, 1905.djvu/239

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C’est la patience, la résignation, même la passivité ; une sorte de stoïcisme ou plus exactement de fakirisme que Rousseau a toujours porté en lui : admirable philosophie de malade, de solitaire replié sur soi ; mais, en tout cas, philosophie d’homme fait, et bien triste et bien désenchantée pour un jeune enfant.

Rousseau mène ainsi son élève jusqu’à douze ans. Arrivé là, il contemple son œuvre avec admiration. Émile est bien portant, vigoureux, franc, loyal. Il a du bon sens, de la fierté, de la volonté. Rousseau le voit ainsi parce qu’il le veut, et parce qu’il lui a plu que la « nature » fût « bonne » chez Émile. Autrement ce beau système d’éducation eût pu tout aussi bien donner un polisson ou un crétin.

Car enfin, ce qui réussit si bien pour Émile réussit fort mal pour Victor et Victorine, dans Bouvard et Pécuchet. Et pourtant les deux bonshommes de Flaubert possèdent leur Rousseau. Même ils en font des résumés :

Pour qu’une punition soit bonne, il faut qu’elle soit la conséquence naturelle de la faute. L’enfant a brisé un carreau, on n’en remettra pas : qu’il souffre du froid ; si, n’ayant plus faim, il demande d’un plat, cédez-lui : une indigestion le fera vite se repentir. Il est paresseux, qu’il reste sans travail : l’ennui de soi-même l’y ramènera.

Mais Victor ne souffre point du froid ; son tempérament peut endurer les excès, et la fainéantise lui convient admirablement.

Alors ?…