Page:Lemaître - Jean-Jacques Rousseau, 1905.djvu/279

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Tel est le Contrat social. Entrepris « pour rendre les hommes libres et heureux », il se trouve que c’est un des plus complets instruments d’oppression qu’un maniaque ait jamais forgé.

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Et maintenant, vous allez voir Rousseau ruiner lui-même son utopie, et dans le moment où il la construit, et après l’avoir édifiée.

Dans son livre même, il nous confesse qu’à l’heure actuelle, les hommes, en général, sont trop corrompus par la société pour que le Contrat social leur convienne. Il conviendrait tout au plus à de très petites cités : Genève, Berne. En réalité, il ne convient complètement qu’à des peuples à la fois très petits et encore jeunes, et qui peuvent encore supporter un législateur à la manière antique : la Corse, par exemple. Rousseau le dit en propres termes :

Il est encore en Europe un peuple capable de législation, c’est l’île de Corse. La valeur et la constance avec laquelle ce brave peuple a su recouvrir et défendre sa liberté (avec Paoli) mériterait que quelque homme sage lui apprît à la conserver. J’ai quelque pressentiment qu’un jour cette petite île étonnera l’Europe.

(Elle l’a étonnée, mais pas du tout de la façon qu’avait pressentie Jean-Jacques.)

Ainsi, c’est entendu, le gouvernement du Contrat social n’est fait que pour les très petits États. Et encore, cette petitesse est-elle une condition suffisante ? Rousseau ne le croît pas.