Page:Lemaître - Jean-Jacques Rousseau, 1905.djvu/315

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songe successivement à se réfugier en Écosse auprès de mylord Maréchal, à Venise, à Zurich, en Silésie, à Berlin, en Savoie, à Jersey, en Italie, en Autriche, à Amsterdam, en Corse. Finalement, et en attendant de prendre une décision, il se rend à Strasbourg, où l’accueil très chaud qu’il reçoit de toute la « société », le dédommage un peu.

Tant de malheurs achèvent de le rendre illustre, — commencent à le rendre fou, — et le purifient.

Je sais bien que Choiseul n’avait pas tort de le considérer comme un écrivain dangereux. Mais si, au lieu de le proscrire, Choiseul lui avait offert à temps (avant l’Émile) des honneurs et quelque sinécure… qui sait, mon Dieu, qui sait ?… L’ambition de Jean-Jacques avait été longtemps d’être « officiel », d’être un homme en place. Bien qu’il parle souvent de son « inaptitude à supporter aucun joug », il a souvent, d’autre part, le désir de s’insérer honorablement dans un ordre de choses bien établi, — (comme lorsqu’il rentre dans la bourgeoisie genevoise). Puis, incapable de défendre ses intérêts matériels, il avait un peu le besoin d’être protégé, de sentir sa tranquillité assurée, d’échapper au souci du lendemain… Oui, Choiseul avait d’autres moyens de l’annihiler qu’en le faisant décréter de prise de corps.

Au reste, il ne l’annihila point par ce moyen-là ; au contraire. Dès que Rousseau est persécuté par le gouvernement de France, et plus durement par les