Page:Lemaître - Jean-Jacques Rousseau, 1905.djvu/316

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églises suisses, sa gloire devient unique, et sa réputation européenne. Et c’est autre chose que la gloire de Voltaire : c’est la renommée d’un bienfaiteur des hommes, d’un sage, d’un législateur antique. Cela prenait déjà la forme d’un culte. L’ermite de Motiers est constamment dérangé par d’illustres visites. Il ne suffit pas à sa correspondance. La Corse lui demande une Constitution. Des princes, de grandes dames, de grands seigneurs, des magistrats, des prêtres, des jeunes gens le consultent sur l’éducation, sur la religion, sur des cas de conscience. Et il leur donne de fort bonnes consultations, non seulement éloquentes — ou fines, — mais pleines de bon sens et presque toutes empreintes d’un esprit d’ordre et de conservation. Car il a presque toujours été sage pour les autres.

Mais aussi cette situation d’oracle européen exalte de plus en plus son orgueil, — en même temps que ses malheurs trop réels, et l’inquiétude continuelle où il vit, développent en lui la folie de la persécution. Mais de ces malheurs même il jouit en quelque manière, tant il les voit démesurés et exceptionnels. — Comme Chateaubriand (et ce n’est pas la première fois que j’ai l’occasion de rapprocher ces deux hommes) Rousseau trouve extraordinaire tout ce qui lui arrive, passe son temps à s’émerveiller de sa destinée, et se console de ses duretés par ce qu’elle a d’unique, — Je ne vous en donnerai qu’un petit exemple. Dans le temps qu’on le huait à Motiers, Rousseau obtint, par mylord Maréchal,