Page:Lepelletier - Histoire de la Commune de 1871, volume 2.djvu/144

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propriétaires, n’étaient pas revenus, et leurs imposantes demeures, inhabitées et silencieuses durant trois quarts de siècle, avaient des aspects de cénotaphes. L’herbe poussait dans les fentes des vieux pavés inégaux, que n’ébranlaient plus les roues des carrosses, les sabots des montures. Quelques touristes, attirés par les grands souvenirs, désireux de parcourir les galeries aux toiles guerrières, agencées par Louis-Philippe, et aussi des convalescents, à qui l’air pur et les salubres émanations sylvestres du parc aux belles sculptures et des bois d’alentour aux charmantes allées, étaient recommandés, donnaient à des intervalles irréguliers un peu d’animation à la ville ; le commerce y languissait, la vie était figée dans ses rues, dans ses places, qu’emplissait cependant le fracas des attelages d’artillerie et les sonneries militaires, en toute saison. Versailles, sous l’empire, ville endormie, hantée d’habitants somnolents, sans jeunesse allègre, n’ayant que le bruit et la joie de sa garnison, car la proximité des plaisirs de Paris la vidait les jours de fête, apparaissait comme une cité dolente qu’un fléau aurait dévastée. C’était un peu la Pompéi de la France de l’ancien régime.

Mais cette ville à part, qui faisait songer à la fois à un musée, à un sanatorium et à une caserne, avait brusquement ce privilège de devenir vivante au contact de ce qui était la mort pour le restant du pays. Les calamités la faisaient florissante : quand le choléra vidait Paris et ses environs, elle s’emplissait et prospérait. Pendant la guerre elle était devenue capitale. Elle allait le redevenir. Siège de l’empire d’Allemagne pendant l’invasion, Versailles avait tout à coup connu, durant cinq mois, au prix de quelques brutalités et de certaines humiliations, une période inouïe d’animation et d’affaires. Les Prussiens étaient arrogants, mais ils consommaient fort et payaient bien. Des fortunes