Page:Lepelletier - Histoire de la Commune de 1871, volume 2.djvu/145

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se réalisèrent au milieu des ruines générales. Nouveau coup du sort : à peine les derniers Allemands laissaient-ils la ville redevenir silencieuse, derechef privée de circulation, de consommateurs et de dépenses, que les émigrés parisiens et les parlementaires avec leur suite venaient occuper les logements laissés vacants, emplir les établissements publics, et faire circuler de nouveau l’argent en abondance dans toute la ville. La situation prospère de Versailles, qui se poursuivit jusqu’en 1876, époque de la rentrée définitive des assemblées à Paris, fut ainsi en raison inverse du bien-être et de la tranquillité du pays.

LA VIE À VERSAILLES

Un des fuyards du 18 mars, M. Léonce Dupont, a, d’un crayon alerte, dessiné la physionomie du Versailles de l’émigration de 71 :

Je retrouvai sur les avenues, et particulièrement dans la rue des Réservoirs, toute la société que j’avais rencontrée pendant la guerre, à Tours sur le Mail, et à Bordeaux sur les allées de Tourny. Cette société était augmentée de tous les fugitifs que le siège n’avait pas éloignés de Paris, mais que les approches de la guerre civile avaient arrachés aux boulevards. C’était un composé fort bizarre de toutes les professions libérales dans ce qu’elles avaient de plus éminent. La littérature y était représentée par M. Théophile Gautier, par M. Alexandre Dumas, par M. Émile Augier, par MM. Arsène Houssaye père et fils et par beaucoup d’autres arrivants, logés à Versailles même ou dans les environs. Cham, le caricaturiste, son chien sous le bras, se promenait d’un air effaré. Les vaudevillistes, tels que MM. Ludovic Halévy et Victorien Sardou, montaient, descendaient et remontaient, patients et résignés comme Sysiphe, l’éternelle rue des Réservoirs, s’interrogeant les uns et les autres, se mêlant à des groupes de députés, de journalistes et de fonctionnaires en détresse.

Il arrivait aussi beaucoup de monde de l’étranger. Des partisans du régime déchu qui, depuis le 4 septembre, n’avaient point osé