Page:Lepelletier - Histoire de la Commune de 1871, volume 2.djvu/247

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n’étaient-ils vraiment qu’une bande de gens ivresse réunissant, ou ne se réunissant pas, dans une salle de l’Hôtel-de-Ville ?

Et Crémer répondit, avec son aplomb insolent, comme un menteur qui renchérit sur ses hâbleries :

— Je crois qu’ils étaient là pour bien boire, et bien manger, et jouer à l’autorité, mais ces gens-là ne pouvaient pas avoir d’influence. Ils tombaient sous le rire au bout de quelque temps…

Crémer aurait pu ajouter qu’ils tombaient aussi, et héroïquement, sous les balles. Tous ceux qui ont vu l’Hôtel de Ville, durant ces journées de fièvre, ont pu constater que, s’il y régnait du désordre et de la confusion, il s’y trouvait aussi l’activité d’une ruche batailleuse, avec l’animation d’un camp. C’était surtout l’aspect d’une barricade à la veille du combat que présentait l’Hôtel-de-Ville, et non celui d’un cabaret. On n’y buvait que parce qu’on avait chaud et soif, on y mangeait à l’heure où c’était nécessaire. On consommait des denrées vulgaires, des victuailles de rencontre, charcuterie et fromage, et l’on n’avait pas le temps, ni l’occasion, d’y faire ces prétendues orgies dont a parlé Crémer. Il y avait là, entassés, allant, venant, attendant les ordres, montant la garde, venant prendre les consignes, des gardes nationaux éloignés de leur domicile, hors de chez eux de grand matin ou ayant passé la nuit en faction, en patrouilles, aux postes. Il fallait bien qu’ils prissent des aliments. La solde ne permettait pas les festins à ces prolétaires devenus soldats, en eussent-ils eu le goût et le désir. Crémer savait mieux que personne, en ce qui concernait les chefs, combien il leur eût été difficile, même s’ils avaient été les bambocheurs qu’il indique, de faire ripaille dans un pareil moment, et sous l’œil envieux, et devenu méprisant, de leurs hommes, pauvres et mal nourris.