Page:Lepelletier - Histoire de la Commune de 1871, volume 2.djvu/28

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Malgré ses vantardises et ses allures d’épileptique, on prenait donc très au sérieux ce bretteur, qui semblait devoir couvrir de son épée tous les jeunes républicains et mettre en déroute tous les vieux champions de l’empire. Il n’alla pourtant sur le terrain qu’une seule fois, et encore fut-ce dans des circonstances peu glorieuses, où il y eut même du ridicule. Après l’absorption de nombreux apéritifs, il s’était avisé de dévisager avec outrecuidance, dans un restaurant de la rue de l’École-de-Médecine, une jeune femme qui dinait là, en compagnie de son ami, un clerc de notaire nommé Boiron. Ce dernier, exaspéré par les mines provocatrices et la mimique galante de son voisin de table, à la fin se fâcha. Il y eut échange de mots vifs, puis voies de fait, et le lendemain rencontre. Sur le terrain, le clerc de notaire se comporta fort bien, et le résultat du duel fut ce qu’on nomme un coup fourré. C’est un coup de maladroit, ou du moins de novice en fait d’armes. Le clerc, nullement escrimeur, avait instinctivement étendu le bras, et Lullier, au lieu de parer, ne se fiant pas sans doute à son habileté pour écarter le fer, avait simplement allongé aussi le bras, négligeant de chercher la parade, le battement et le dégagé : d’où un embrochage réciproque. Des deux blessures, celle que reçut Lullier eut seule quelque gravité.

Il n’y a nulle honte à ne pas être un escrimeur de force et à revenir d’un duel le bras en écharpe. On peut faire un usage meilleur de sa jeunesse, et un plus intelligent emploi de son temps que de traîner les sandales sur la planche et de ferrailler dans les salles d’armes, mais pour Lullier C’était presque une obligation professionnelle que l’escrime et une nécessité de s’y exercer. Un gaillard qui parlait sans cesse de provoquer tout le monde devait justifier par un peu de pratique du fleuret des prétentions qu’il affirmait. Cela obligeait de se proclamer le champion toujours prêt du