Page:Lepelletier - Histoire de la Commune de 1871, volume 2.djvu/472

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ordre, par compagnies ; les drapeaux, placés au centre de la place, rejoignent leurs bataillons à mesure que leur tour arrive de défiler. Les musiques jouent des marches et des airs variés du répertoire d’Offenbach, d’Adolphe Adam et d’Auber. On applaudit, et plus vigoureusement, les refrains populaires d’actualité, comme le Sire de Fich-Ton-Kan d’Antonin Louis, le Rhin Allemand, La Femme à Barbe, Les pompiers de Nanterre et Fallait pas qu’il y aille ! de Doyen et Joseph Kelm. Toute la soirée, la gaieté et l’animation furent intenses, et dans certains quartiers de la périphérie, il y’eut concert par les musiques militaires et retraite aux flambeaux.

Les écrivains réactionnaires n’osèrent contester l’impression énorme que laissa après elle cette fête martiale et populaire, la première, et la dernière aussi, que vit le Paris de 1871. Tout au plus quelques railleries sur les bottes, les écharpes des membres du Comité Central et sur le « Trône » du citoyen Assi égayèrent les lecteurs des feuilles de l’opposition. Un des journalistes les moins favorables à la révolution, le lyrique Catulle Mendès, l’auteur du pamphlet, bien écrit mais fort venimeux, intitulé Les 73 Journées de la Commune, ne put s’empêcher de constater la grandeur de cette exceptionnelle et magnifique journée :

Se défende qui voudra, écrivait-il en revenant de la place de l’Hôtel-de-Ville, de subir l’irrésistible émotion qu’impose l’enthousiasme des foules ! Je ne suis pas un homme politique, je suis un passant qui voit, écoute et éprouve.

J’étais sur la place de l’Hôtel-de-Ville, à l’heure où on proclamait les noms des membres de la Commune, et j’écris ces lignes tout ému encore. Combien d’hommes étaient là ? Cent mille : peut-être. D’où venus ? De tous les points de la cité. Les rues voisines regorgeaient d’hommes armés, et les baïonnettes aigües, étincelant au soleil, faisaient ressembler la place à un champ d’éclairs.