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Au milieu de in face de l’Hôtel-de-Ville s’élève une estrade que domine un buste de la République, coiffée du bonnet phrygien.

Un à un les bataillons s’étaient rangés sur la place, en bon ordre, musique en tête. Les musiques jouaient la Marseillaise, reprise en chœur par cinquante mille voix résolues. Le tonnerre vocal secouait toutes les âmes, et la grande chanson, démodée par nos défaites, avait retrouvé un instant son antique énergie.

Tout à coup le canon. La chanson redouble formidable, une immense houle d’étendards, de baïonnettes et de képis, va, vient, ondule, se resserre devant l’estrade. Le canon tonne toujours, mais on ne l’entend que dans les intervalles du chant. Puis tous les bruits se fondent dans une acclamation, unique voix universelle de l’innombrable multitude, et tous ces hommes n’ont qu’un cœur comme ils n’ont qu’une voix.

(Catulle Mendès, Les 73 journées de la Commune. Paris, 1874. Lachaud, éditeur.)

Ce jour-là, l’âme de Paris chantait dans les canons. C’était un chant de fête. Les mêmes canons, mais non plus chargés à blanc, n’allaient pas tarder à entonner leur chant de mort et de désastres.

À Versailles, cependant, pensif et satisfait, suivant de l’œil et de la pensée, sur une carte des environs de Paris, des lignes stratégiques, M. Thiers songeait : « Les canons parisiens ont fini leurs salves, les nôtres vont commencer ! » Et les yeux vifs du vieillard impitoyable pétillaient malicieusement sous les lunettes, à l’idée orgueilleuse du beau feu d’artifice que Versailles allait bientôt tirer.

DERNIÈRE SÉANCE DU COMITÉ CENTRAL

Les clairons sonnaient toujours et les bataillons achevaient de défiler, en bon ordre, chacun s’efforçant de bien cadencer le pas et de se maintenir à l’alignement, que déjà l’estrade s’était vidée. La nuit tombait. Les nouveaux membres de l’assemblée s’étaient retirés un à un, sans ordre d’appel, sans