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dans l’eau et puis s’éleva une horrible odeur de pourriture. Au même instant il entendit des pas — on eût dit — de gens en grand nombre marchant vers le rivage, puis là sur la pointe du promontoire il vit s’avancer tout un équipage.

Ces gens avaient l’air de créatures toutes contrefaites. Ils s’inclinaient en avant, les bras tendus. À travers les roches, à travers tout, ils passaient, sans un bruit, sans un cri.

Derrière eux arrivait un autre équipage, des petits et des grands, des hommes faits et des enfants, bruyants, poussant des cris. Et puis encore d’autres, et tous venaient vers le rivage et prenaient le sentier qui conduisait à la pointe du cap.

Quand la lune parut, Hans put percer du regard à travers leurs squelettes. Leurs faces étincelaient, leurs bouches avec leurs dents brillantes bâillaient comme s’ils avaient avalé de l’eau. Il en arrivait des masses qui s’ajoutaient les uns aux autres : ils fourmillaient.

Et Hans vit qu’ils étaient là tous, ceux que dans ses insomnies il avait vainement essayé de compter, et un accès de rage s’empara de lui.

Il se dressa dans l’embarcation et claquant sur les fesses de sa culotte en cuir, il s’écria : « Vous auriez été autrement nombreux si Hans n’avait pas construit ses bateaux ! » À présent, comme le sifflement d’un vent glacial, tous, ils s’abattaient sur lui, le fixant de leurs yeux creux.

Ils grinçaient des dents et avec des sanglots lui reprochaient leur trépas.

Et Hans, saisi d’horreur, mit à la voile pour quitter Sjöhölm. Mais la voile pendait, inerte, le long du mât, le bateau glissait dans de l’eau morte. Et, parmi les vagues immobiles, il y avait une masse flottante de planches gonflées et pourries, toutes avaient été façonnées et réunies, jadis ; mais elles avaient crevé, elles avaient sauté et sur elles c’était maintenant de la vase, sale et verte, la moisissure horrible.

Des mains mortes se crispaient aux coins de ces planches et l’on voyait que leurs articulations ne pouvaient tenir ferme. Elles se dressaient au-dessus de l’eau puis retombaient.

Et Hans mit toutes voiles dehors pour partir, oh ! partir au plus vite ! Il se retournait avec effarement, encore, pour voir si tout cela était à sa poursuite. Au fond de la mer toutes ces mains mortes se tordaient, essayant de le frapper à l’arrière avec des harpons.

Une rafale s’éleva, hurlante et sifflante ; le bateau passait entre des vagues de bouillonnante blancheur.

L’obscurité s’épaississait, de gros flocons de neige emplissaient