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Page:Les Œuvres libres, numéro 10, 1922.djvu/13

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Autour de ce tableau de Gay, il s’était fait grand bruit, si bien que la police en interdit l’exposition publique. Trétiakov, le propriétaire de la célèbre galerie de Moscou, désirant l’acquérir, demanda à Tolstoï ce qu’il pensait de ce tableau. Tolstoï lui répondit par la lettre suivante :

« Merci pour votre lettre, mon cher P. M.[1]. Vous me demandez ce que je pensais en disant que le tableau de Gay ferait époque dans l’histoire de l’Art chrétien, le voici : L’art catholique s’est attaché principalement aux saints, à la madone et au Christ comme Dieu, et cela jusqu’en ces derniers temps quand ont commencé les tentatives de présenter le Christ comme un personnage historique. Mais présenter comme personnage historique un être que, pendant des siècles, des millions d’hommes ont tenu pour Dieu, n’est pas commode. Ce n’est pas commode parce qu’une pareille représentation appelle la discussion, et la discussion détruit l’impression artistique. Cependant, je vois plusieurs tentatives diverses de sortir de cette difficulté. Les uns ont relevé le défi ; chez nous, par exemple, les tableaux de Verestchaguine et même celui de Gay : La Résurrection. Les autres ont voulu traiter ce sujet à la manière historique ; tels sont, chez nous, Ivanov, Kramskoï et encore Gay avec son tableau La Cène. D’autres encore ont voulu ignorer toute discussion ; ils ont pris des sujets connus de tous et ne se sont préoccupés que de la beauté : Gustave Doré, Polienoff. Mais toujours, dans tous ces tableaux, il manquait quelque chose.

  1. Initiales du prénom et du prénom du père de Trétiakov, N. D. T.